Une demande de régularisation de travaux incomplète et erronée peut-elle être constitutive d’une fraude ?
(CE, 7 décembre 2018, n°407847)
Le 7 juillet 2004, une société achète un ensemble immobilier à usage essentiellement commercial (établissement scolaire puis entreprise artisanale et bureaux) avec quelques logements et réalise des travaux portant sur la création de 21 logements de 3 à 5 pièces.
Après avoir été condamné pénalement par la Cour d’appel de Montpellier le 18 février 2010 pour réalisation de travaux sans autorisation1, la société dépose le 10 février 2012 (soit quelques jours avant la fin du délai prescrit pour remettre en état) une déclaration préalable afin de régulariser lesdits travaux. Faute d’opposition expresse dans un délai d’un mois, la société obtient le 10 mars 20122 une décision tacite de non-opposition.
Pour autant, le préfet de l’Hérault va refuser de délivrer à la société une attestation de non-opposition tacite à déclaration préalable par décision du 20 avril 2012 et retirer la décision tacite par arrêté en date du 28 février 2014. Ces décisions sont alors contestées par le pétitionnaire, lequel obtient par jugement du 13 février 2015 du tribunal administratif de Montpellier l’annulation de l’arrêté de retrait et une injonction faite au préfet de l'Hérault de lui délivrer l'attestation de non-opposition tacite à la déclaration préalable.
Ce jugement est confirmé par arrêt du 8 décembre 2016 de la Cour administrative d’appel de Marseille au motif que la fraude ne saurait être retenue dès lors que si la déclaration préalable déposée le 10 février 2012 comporte des omissions3, le projet a été suffisamment décrit de sorte que les déclarations permettaient aux services instructeurs d’apprécier la nature et l’importance des travaux et de constater qu’ils relevaient du régime du permis de construire. De plus, le fait pour le pétitionnaire d’avoir déposé une simple déclaration préalable plutôt qu’un permis n’est pas de nature à induire l’administration en erreur.
Saisi d’un pourvoi du ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, le Conseil d’Etat annule l’arrêt au motif qu’une fraude est caractérisée dès lors que :
- les omissions consistant à ne pas mentionner le changement de destination du bâtiment et s'abstenant de renseigner les cases du formulaire CERFA4 ont induit en erreur l’administration, ce que le pétitionnaire ne pouvait ignorer ; et
- le pétitionnaire avait connaissance du fait que les travaux nécessitaient un permis de construire et savait que le dépôt d’une déclaration préalable lui permettrait de bénéficier d’un délai réduit à un mois, insusceptible de faire l’objet d’un retrait sauf cas de fraude.
Enfin, le Conseil d’Etat précise, qu’en tout état de cause, la société ne pouvait demander la régularisation des travaux dès lors que ces derniers ont eu lieu au sein d’une zone classée rouge par un plan de prévention des risques d’inondation.
1 La société invoquait le bénéfice d’un permis tacite obtenu - puis retiré. Néanmoins, la Cour a jugé que les travaux litigieux entrepris allaient au-delà de ce qui était tacitement autorisé et par conséquent, ont été réalisés sans autorisation d’urbanisme. Notamment, le changement de destination et l’importance des travaux réalisés nécessitaient un permis de construire. Cour d’appel de Montpellier, 18 février 2010, n°09/01653.
2 Article R*423-23 du code de l’urbanisme.
3 “La déclaration de travaux déposée le 10 février 2012 par la SCI “La fontaine de l’Amour” ne fait pas état d’un changement de destination et ne renseigne pas chaque case au point 5.3. du formulaire CERFA afin d’indiquer si la surface hors oeuvre nette totale (SHON) de 1942 m² mentionnée préexistait ou était créée” - extrait de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 8 décembre 2016, n°15MA01632-16MA01894
4 Qui auraient permis aux services instructeurs de savoir si la SHON mentionnée préexistait.